Par Robert Bibeau et Khider Mesloub. Le 10.04.2019. Sur Les7duQuébec
La complainte algérienne
Chacun y va de sa complainte et serine que l’Algérie vit une sereine révolution. Une révolution qui ne connaitrait pas encore sa couleur ni son odeur, mais qui serait impulsée par de pacifiques balades balisées et banalisées, sur fond de débonnaires revendications visant à changer le visage de la réaction au pouvoir. Certains osent même évoquer un second «Printemps arabe» (1). Examinons cette prétention à travers l’action qui se déroule en Algérie.
Ainsi, le noble vocable « Révolution » est associé à toutes les déflagrations politiques, particulièrement celles qui s’apparentent à des pétards mouillés, à des désordres sporadiques étouffés ou instrumentalisés par des caciques. Notamment, par le recours aux mascarades électorales connues pour leur pouvoir dissolvant, euphorisant et leur puissance de «dégagement» (sic). Dans l’histoire récente, on a eu droit à l’expression «révolution de velours», pour désigner la transition entre la dictature stalinienne tchèque et la dictature capitaliste tchèque. On a eu droit à l’expression «révolution orange», pour désigner le truquage des élections en Ukraine. On a eu droit à la «révolution du jasmin», pour désigner la transition entre le pouvoir dictatorial de Ben Ali et la dictature islamiste tunisienne. Et enfin, parait que la «révolution libyenne» aurait permis de libérer le pays du Guide de la Jamahiriya pour le remplacer par son lieutenant, le maréchal d’armée Khalifa Haftar en route avec ses troupes vers Tripoli ces jours-ci ?!…
En Algérie, agitée par de grandes manifestations-parades on a droit à l’expression «révolution joyeuse», pour désigner la transition du pouvoir entre l’ancienne clique et la nouvelle clique identique. Entre les récents ministres biberonnés au sein du FLN et les anciens apparatchiks exhumés de leur retraite.
Force est de constater que les mobilisations massives de millions d’Algériens n’ont aucunement ébranlé le régime des affidés. Il faut reconnaitre que ces derniers résistent farouchement aux pressions des apparatchiks candidats à leur succession. Ça semble un paradoxe que plusieurs journées de mobilisation drainant des millions de manifestants n’aient pas déstabilisé ce régime toujours aussi fortement installé dans ses treillis protégeant les institutions étatiques. À l’exception anodine de la démission forcée du président zombie Bouteflika, la même faction gouverne toujours le pays. Serait-ce l’indice qu’il ne s’agit pas d’une révolution économique et sociale, mais plutôt d’une protestation «citoyenne», appelée à se lénifier avec le changement de la garde? Le «blocage» actuel plaide en faveur de ce dénouement sans perspective.
En effet, les factieux membres du sérail, qui poussent à la rue la petite-bourgeoisie excitée et la populace paupérisée, font germer des espérances que le grand capital algérien et international n’a aucunement l’intention d’honorer. Quand le prolétariat, mêlé aux gens ordinaires et aux étudiants dans ces parades hebdomadaires, réalisera que rien n’est appelé à changer si ce n’est la façade du «Village Potemkine» d’el-Mouradia, rentrera-t-il sagement à l’atelier sans mots-dires et sans maudire ceux qui l’auront berné?
Ceux qui usent du terme Révolution les abusent et à l’évidence cet usage immodéré du vocable Révolution vise à modérer le recours à la révolution, à rendre illusoire le recours à la Révolution sociale, et à travestir le sens de l’expression. Paradoxalement ce sont les mêmes qui fustigent les authentiques Révolutions (1789, 1871, 1917, 1949), condamnées pour leur radicalité, ravalées à l’état de coups d’État. Ce sont eux qui ont tenté de présenter le changement de la garde au Palais el-Orouba pour une «Révolution» qui aurait accouché du maréchal-président Sissi, quelle moquerie.
Pour quelle raison inavouée les médias s’empressent-ils de qualifier toute fronde gouvernementale de «Révolution», sinon pour disqualifier la Révolution? Celle qui détruit l’État et ses institutions pour les remplacer par une nouvelle forme de gouvernance innovante, portée par la classe prolétarienne révolutionnaire, à la suite d’une période marquée par un double pouvoir et par l’incapacité de l’État bourgeois. La Révolution détruira l’ancien mode de production et instaurera de nouveaux rapports sociaux de production sur des fondements économiques radicalement différents.